Les Murettes
(a) Géographie. Les Murettes est un lieu-dit sur la commune de Roche-en-Forez. Son altitude est de 1 020 mètres. Le lieu-dit se trouve au nord du bourg, entre la grange de Drayard et le hameau de Néel. Il est dominé par le village de Montvadan et domine celui du Vernay. Les Murettes sont sur un replat. Celui-ci est apprécié par les cycliste qui montent de Roche et se dirigent vers la traverse de Courreau, avant de dévaler le vallon de la Valbertrand, vers le Pont de la Pierre, en direction de Sauvain ou avant de monter aux jasseries de Garnier.
(b) Géologie. L'origine de ce replat, dans des monts du Forez dont la pente moyenne est appréciable, a de quoi surprendre qui sait s'interroger sur le relief. Elle réside dans l'existence d'une table basaltique. Un basalte volcanique s'est infiltré dans le sous-sol, sans émerger à la surface. A proximité, il y a de vrais pitons basaltiques, comme le Chaudabrit et le mont Sémiol.
(c) Localisation. Prenant à droite (est), depuis la route départementale (D44), une petite route goudronnée descend vers le hameau de Néel. A quelques dizaines de mètres, un chemin empierré bifurque vers la droite (au sud). Longeant Les Murettes, il poursuit vers la grange de Drayard. Certes, ce chemin est bordé de murets de pierres, ce qui pourrait expliquer le nom. Mais la plupart d'entre-eux ne datent que de la construction du chalet qui occupe ce lieu. Et, j'en sais quelque chose, pour une grande part, les pierres ont été apportées d'ailleurs.
(d) Généralités. Dans beaucoup de campagnes, des murets sont construits en retirant les pierres des champs, pour stabiliser le chemin, afin d'éviter de s'y embourber. Des pierres sont aussi entassées sur la bordure de la voie, pour canaliser les troupeaux qui y passent. Ce n'est pas pour autant que tous les chemins se nomment Murettes.
- <<Un muret en architecture est un petit mur bas construit en pierres sèches ou maçonné qui dans certaines régions sert de clôture aux parcelles de terre, soutient la terre dans les terrains en pente. C'est un élément d'architecture à haut potentiel écologique. (Wikipédia)>>.
(e) Tactique militaire. Des murettes sont dressées par les armées, pour protéger un bivouac nocturne.
- <<Sans retard, la Légion élève les murettes et épaulements nécessaires à la défense. Dès le 15 à l'aube, les Druzes occupent des hauteurs à 5 kms, à l'est du village, sur la route de Soueida. Une reconnaissance du 4/1Rec, appuyé par une demi compagnie, en prend le contact et doit se replier après avoir perdu un Maréchal des Logis tué et deux cavaliers blessés. Le 16 septembre, les Druzes se rassemblent en grand nombre à l'est du village et, à la tombée de la nuit, parvient le message suivant envoyé de Soueida assiégée "5000 Druzes partent de Soueida, marchant sur Messifré". La nuit tombe, obscure ; rien n'est visible au delà de 50 mètres. Vers 2h45, sortant en reconnaissance du réduit numéro 5, le Lieutenant Lacour entend des bruits de voix et de chevaux ; il donne l'alerte, une fusée est lancée et fait découvrir d'innombrables cavaliers Druzes qui se sont réunis aux abords mêmes des réduits en s'infiltrant silencieusement. Chacun occupe aussitôt son poste de combat. L'attaque se déclenche sans aucun délai. La cavalerie Druze se précipite sur les réduits, s'écrase sur les murettes, met pied à terre, fait le coup de feu et repart au galop. (Légion étrangère, "La défense de Messifré par le 4/1 Rec, le 17 septembre 1925")>>.
(f) Les murettes, qui retiennent la terre, pour éviter qu'elle ne soit emportée par le ruissellement, sont nécessaires à la vigne. Mais, à 1 000 mètres d'altitude, même pendant l'optimum médiéval (de l'an 900 à l'an 1 200), il n'y a jamais eu de vignes.
- <<Avant toute chose, une fois que la terre était défrichée, il fallait dessiner la vigne, repérer les courbes de niveaux, et surtout, déterminer où l'on allait mettre l'agulla, la rigole, et le peu de gall [le réseau pluvial en patte d'oie]. C'est très important si l'on veut que l'eau s'écoule bien. Puis on construisait les murettes. Enfin, on répandait la terre dans chaque feixa, entre deux murettes, pour uniformiser la pente. Ce travail se faisait l'été, avant ou après la vendange. C'était long mais on avait le temps devant nous. Une murette qui est bien faite tient le coup longtemps, certaines ont des siècles même, et puis on cherchait à faire du beau. J'ai vu des gens porter un caillou sur des kilomètres parce qu'ils le trouvaient joli. Ils l'emmenaient sur leur dos ou à vélo jusqu'à leur vigne. On allait même jusqu'à voler un caillou s'il nous en fallait un particulier pour un angle de murette ou pour la couverte. C'était un travail d'artiste. (Marcel Centène, vigneron, in "Terres Catalanes")>>.
(g) Plus généralement, les murettes sont nécessaires à toute culture en pleine pente. On en trouve dans le vallon encaissé du ruisseau de Moingt, avant son débouché dans la plaine du Forez. C'est le cas dans la vallée du Vizézy, à Essertines-Basses. Des moulins à eau, en ruine, sont encore entourés des noyers dont on tirait de l'huile. C'est aussi le cas dans les vallons du Bouchat et du Cotayet, à Ecotay, où se trouvaient des cultures de chanvre. Mais ce n'est pas le cas ici. Nous sommes sur un replat. La pente se rétablit plus loin.
(h) Hydrologie. Enfin, des murettes sont établies sur les bords des rivières, pour réduire l'effet des crues.
- <<Dominé par le château «moderne», l'architecture du vignoble, comme un contre point, ressemble à un solide château médiéval avec ces murs et murettes de défense contre les assauts impitoyables du climat méditerranéen, passant de la sécheresse la plus extrême aux pluies torrentielles d'automne. Depuis le XIIIème siècle, chaque arpent de terre a été gagné et modelé par le travail séculaire et patient de l'homme ; la terre maigre est retenue par les murettes de schistes et de gneiss. (Le vignoble de Château Valmy, "Une forteresse au pied d'un château")>>.
(i) Mais ici, il n'y a pas de rivière. Le ru ou le ruisseau le plus proche est longé ou dominé par la route qui descend vers Néel.
(j) Toponymie. Le toponyme "Les Murettes" n'est ni unique, ni vraiment fréquent.
- "Les Murettes" est le nom d'un gîte rural, dans les Cévennes, sur la commune d'Aujac.
- "Les Murettes" est un centre équestre à Roquebrune sur Argens.
- En Suisse, toujours lié au vignoble, "Les Murettes" est le nom d'un clos et d'un vin de Fendant, près de Sion.
(k) Le toponyme La Mure est plus fréquent, y compris dans la région. D'un point de vue linguistique, il s'agit bien de la racine prélatine, en l'occurrence celtique, <murr>, désignant une montagne. C'est donc le relief qui décidera de l'origine la plus probable de la toponymie. Un lieu-dit La Mure au-dessus d'un lieu-dit Le Crozet a de fortes chances d'être une barre rocheuse découpée par une faille et dégagée par l'érosion hydraulique. Dans certains actes de vente, une mure est une ruine. Sur les hauts des monts du Forez, une mure, alignement rocheux, peut être le vestige des époques de glaciation, au Quaternaire. Ces quelques occurrences régionales n'ont pas forcément la même signification :
- La Mûre (905 m) domine le Crozet (878 m) à Saint-Bonnet-le-Courreau, au-dessus de la fabrique de fourme du Pont de la Pierre.
- La Mure (475 m) à Saint-Just-Saint-Rambert.
- La Mure (600 m) est un hameau de Périgneux qui domine le ruisseau Bonsonnet.
- Lamure (620 m), le hameau du village Les Noës, est bien perché sur une barre rocheuse au-dessus de la Gouine (terme apparu en 1665, le mot signifie "salope").
- La Mure (670 m), entre les Sagnes et le Sauzet, à Saint-Jean-la-Vêtre.
- La Mure (842 m) s'oppose au Creux (897 m) à Saint-Just-en-Bas.
- La Mure (950 m) à Chalmazel.
- La Mure (1000 m) domine le ruisseau de Tortorel à Estivareilles.
- La Mure (1125 m) à Saint-Anthème.
- Les Mures (629 m) à Saint-Romain-d'Urfé. Les Ronzières des Salles sont proches.
- Les Mures (667 m) à Saint-Just-sur-Loire.
- Les Mûres (750 m) surplombent le ravin du ruisseau d'Aubaigue à Rozier-Côtes-d'Aurec.
- Les Mures (1000 m) dominent le ruisseau de Chanaubrun à La Côte-en-Couzan.
- Les Mures (1030 m) à Jeansagnières.
- Les Mures (1140 m), à Saint-Bonnet-le-Courreau, sont sur une barre rocheuse.
- Murette (1170 m), près de Glizieux, à Roche-en-Forez, est une ancienne jasserie.
(l) Mais il est probable qu'il faille chercher ailleurs l'origine de ce nom, peut-être du côté de Muret ou de Mouret. On le trouve dans d'autres régions de montagne.
- <<Le Mouret, ancien nom allemand Muret, hameau qui a donné son nom à une nouvelle commune regroupant les communes de Bonnefontaine, Essert, Montévraz, Oberried, Praroman et Zénauva (Ferpicloz et Le Mouret, district de la Sarine, Fribourg) ;
Le Muret, hameau (Bonnevaux, Val d'Abondance, Haute-Savoie) ;
Les Murets, hameau (Passy, Haut-Faucigny, Haute-Savoie) ;
("Noms de lieux de Suisse romande, Savoie et environs")>>.
(m) Muret est un toponyme qui est devenu un patronyme, surtout dans l'Isère. Au-delà de son sens courant, il a un sens particulier dans le franco-provençal, c'est-à-dire, sur l'ancien territoire des Burgondes, du Forez à Genève, en passant par le Dauphiné et la Savoie.
- <<Muret. Désigne celui qui est originaire de Muret, toponyme très fréquent évoquant une petite fortification. C'est dans l'Isère que le nom est le plus répandu, mais on le trouve dans de nombreux autres départements. Trois communes françaises s'appellent Muret (02, 12, 31), ainsi que de nombreux hameaux. Pour l'Isère, on peut noter son existence dans les communes d'Eybens et de Saint-Egrève. (Document du web)>>.
(n) Dans les Alpes, un muret ou une murette est une maison isolée, dans une clairière. C'est une piste à suivre.
- <<Murette, maison isolée en clairière (La Salle, vallée d'Aoste) ;
Les Murettes, maisons isolées (Duillier, district de Nyon, Vaud).
Français muraille, «ensemble de murs épais et d'une certaine élévation », avec le suffixe collectif -aille : Les Murailles, hameau (Meinier, Genève). Par métaphore, paroi rocheuse semblable à une muraille. ("Noms de lieux de Suisse romande, Savoie et environs")>>.
(o) A Gumières, une commune voisine des monts du Forez, c'est une "paroi rocheuse semblable à une muraille" qui semble avoir donné son nom au hameau de La Mure (995 mètres).
(p) Le muret peut ne pas être une habitation permanente. Il peut être un lieu d'estive, une bergerie qui n'est occupée que pendant l'été. En Chartreuse, une telle bergerie, un tel abri, un tel refuge porte le nom de habert.
- <<Habert, nom masculin : chalet servant d'étable et de fromagerie en montagne>>.
(q) Une bergerie d'estive, à l'écart des habitation permanentes, est à la fois un habert (usage) et un muret (localisation).
(r) Pour les randonneurs ou les skieurs alpinistes qui tentent la traversée de la chaîne de Belledonne, entre les stations de Prapoutel et de Chamrousse, le habert de Muret (1 448 m) est un lieu de bivouac. Le sens de "clairière" est présent en ce que le habert borde une forêt d'épicéas. Il faut traverser celle-ci pour trouver le habert d'Aiguebelle. Toujours dans le Massif de Belledonne, les ruines du Habert de Crop (à 1 410 mètres) sont en contrebas du lac de Crop (1 906 mètres).
(s) En somme. Il me semble que Les Murettes de Roche-en-Forez correspondent à une colonisation à la fois tardive et temporaire de ce coin de terre, gagné sur la forêt, à une époque de forte pression démographique. Un établissement provisoire, qui n'a jamais débouché sur une habitation permanente, ne donnant ni hameau ni village. Cette colonisation est plus tardive que le XV ème siècle, car "Les Murettes" ne figure pas dans la liste des hameaux de Roche en 1440.
(t) Les hameaux (on disait plus volontiers villages) de Roche sont d'anciens Mas (le manse carolingien ou féodal). Ils sont devenus des hameaux par la multiplication des feux (famille et cheminée). Mais ils sont restés indivis, avec leurs propres communaux. Les noms changent peu au fil du temps. La Praiz (le pré, du latin pratum) devient Seynod (altération de Rocca Subeyrana) au XV ème siècle. Vorzey (la Vorze) devient Néel au XVI ème siècle. En 1440, les hameaux de Roche-en-Forez sont presque aussi nombreux qu'aujourd'hui. L'orthographe n'ayant jamais été stable, nous donnons celle de l'An 2000 : Champ, Chaudabrit, Foin, Glizieux, La Côte, La Fougère, La Griotte, Le Bouchet, Le Bourg, Le Montet, Le Supt, Les Amaruts, Les Cognières, Montvadan, Néel (jadis Vorzey), Rochebéranne (dont Durel et Creux sont deux parties), Seynaud-Latéry et Vernet. A cette date, Cognet et Pivadan ne sont que des granges d'été. Ces informations sont données par un terrier du château nommé Le Chevalard. Cette liste des terres seigneuriales est dressée de 1426 à 1462.
(u) Une autre hypothèse est envisageable, à condition de se déplacer de quelques centaines de mètres vers le bas. Dans un pré, visibles depuis le balcon du chalet, des rochers se dressent, tels des ruines, tels des <mures> ou de petites mures.
Remarque. Les définitions des mots en gras sont disponibles sur le cédérom, expliqué dans menu de droite.